Par: Justine Dorion
En pharmacie, il est évident que certains noms de médicaments sont compliqués à prononcer, à écrire et à lire. De nombreux patients (et même parfois nous!) finissent par déformer ces noms jusqu’à ne plus rien comprendre. Mais pourquoi ces noms sont-ils aussi complexes ? Qui décide de ces appellations parfois insolites ?
Jusqu’au XIXe siècle, les médicaments étaient souvent nommés simplement, comme la cocaïne ou la morphine, car ils étaient issus de la nature. Cependant, avec l’émergence de la synthèse en laboratoire, le système de nomination s’est complexifié pour s’adapter à une explosion de nouvelles substances.
Aujourd’hui, les médicaments portent trois noms principaux :
La nomenclature des médicaments est principalement élaborée par deux expertes, Stephanie Shubat et Gail Karet, qui jouent un rôle stratégique au sein de l’USAN (United States Adopted Names). Cet organisme, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est responsable de l’attribution de noms génériques standardisés aux médicaments à l’échelle mondiale. Le processus implique des critères rigoureux, incluant des règles linguistiques et scientifiques, pour s’assurer que chaque nom reflète la classe pharmacologique ou la structure chimique du médicament. Cette standardisation a pour objectif de garantir la clarté et la sécurité dans la prescription et l’utilisation des médicaments.
Shubat et Karet doivent également jongler avec des défis uniques, comme éviter les similitudes avec d’autres noms de médicaments déjà existants afin de prévenir les erreurs médicamenteuses. Leurs décisions impactent directement le domaine de la santé publique, car des noms clairs et cohérents réduisent les risques d’erreurs de prescription ou de délivrance. Enfin, leurs travaux contribuent à une meilleure compréhension des médicaments à travers les différentes langues et cultures, renforçant ainsi la sécurité des patients à l’échelle internationale.
Certaines anecdotes sur l’origine des noms sont particulièrement intéressantes :
Sinemet : Ce nom combine « sine » (sans) et « émet » (vomir). Avant son apparition, les traitements contre Parkinson provoquaient souvent des nausées, ce qui n’est pas le cas de ce médicament.
Valium : Tiré du mot latin « vale » qui signifie « au revoir », il est associé à un sentiment de relaxation et de détente.
Adderall : Destiné au traitement du TDA, ce nom combine « ADD » (trouble du déficit de l’attention) et « ALL » (à tous).
Viagra : Fait référence à la vigueur (« vigor ») et à Niagara, allusion aux chutes d’eau symbolisant la puissance.
D’autres exemples illustrent l’ingéniosité et la simplicité des créateurs de noms :
Lasix : Fait référence à la durée d’action du médicament (« lasts six hours »).
Tylenol : Référence à sa composition chimique : N-acéTYL-para-aminophENOL.
Lopresor : Contraction de « low pressure » pour indiquer son effet hypotenseur.
Montelukast : Évoque Montréal, où la molécule a été découverte.
Aspirine : Dérive de sa composition chimique et de la plante à partir de laquelle elle a été synthétisée (« spirea ulmaria » ou reine des prés).
Prevacid : Suggère qu’il « prévient l’acide ».
Warfarin : Tire son nom de la « Wisconsin Alumni Research Foundation », où il a été découvert.
Ibuprofène : Basé sur sa formule chimique (« Acide Iso-Butyl-PHENyl-PRopanoïque »).
Glucophage : Vient du grec « gluco » (sucre) et « phago » (manger).
Xanax : Palindrome formé à partir des lettres du mot anxiété (« xan »).
Derrière chaque nom de médicament se cache une véritable histoire, mêlant créativité, rigueur scientifique et stratégie commerciale. Ces noms, loin d’être arbitraires, sont pensés pour traduire une fonction, une promesse ou même une émotion. En y regardant de plus près, on découvre une dimension humaine et culturelle insoupçonnée, nous rappelant que même dans le domaine médical, les mots comptent autant que les molécules.